La psychologie sociale à la rescousse ?


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Les sectes et la psychologie des foules

J’ai déjà dit tout le mal que je pensais de la pensée tronquée de nos amis sociologues qui n’envisagent les sectes que sous l’angle de nouveaux mouvements religieux et ce qu’ils apportent à notre société, sans se préoccuper de leur organisation interne.
Il est une discipline scientifique, déjà assez ancienne, qui s’est spécialement intéressé à la relation groupe-leader, c’est la psychologie des foules de Gustave Lebon et de ses successeurs, tel Serge Moscovici.
A l’inverse de l’individu, la foule y est présentée assez négativement. Irrationnelle et versatile, l’âme des foules est de nature psychopathologique et soumise à des croyances par nature dogmatiques et utopiques. Elle n’a de cesse de se chercher une idole et des boucs émissaires.
Dans cette théorie scientifique, le meneur lui donne un but (idéal), soude le groupe et organise son action. Toutes les explications de ce phénomène d’influence du leader sur la foule ont recours au mécanisme de la suggestion. Lebon parle du prestige du meneur et de son hypnose de la foule. Gabriel Tarde parle de suggestion de la part du leader et d’imitation par la foule qui l’admire, en quête d’un modèle. Freud l’explique à l’aide des hypothèses psychanalytiques, par le principe d’identification, dans une composante amoureuse la foule déracinée recompose la figure du père. Weber parle de charisme du meneur.

En 1904, face au déclin des religions traditionnelles, l’allemand Max Weber, l’un des pères fondateurs de la sociologie moderne, avait introduit la notion de "désenchantement du monde".
Aujourd’hui, se focalisant sur les "nouveaux mouvements religieux" (ou NMR, un joli néologisme pour ne pas dire sectes), les sociologues des religions évoquent à leur tour son "réenchantement".
Certes, le retour de la pensée magique – si tant est qu’elle ait disparu – dans un monde éminemment matérialiste, est une évidence et mérite d’être étudiée comme il se doit.
Mais nos braves sociologues font preuve d’une pensée bien étriquée en ne s’intéressant à rien d’autre qu’aux fondamentalismes religieux au sein des grandes religions monothéistes et au réenchantement du monde par les nouvelles spiritualités.
Ils succombent ainsi à la pensée unique délivrée quotidiennement par nos journaux télévisés.

Pendant que la sociologie regarde avec intérêt le déclin des formes religieuses traditionnelles et la nouvelle abondance de mouvements spirituels, la psychologie s’est cantonnée à la notion de manipulation mentale.
En médecine, l'addiction physique et/ou psychologique est clairement définie. Si l'adepte souhaite se débarrasser d'un produit mais n'y parvient pas, il y a addiction et le produit est déclaré addictif. Pas de jugement moral, c'est purement scientifique. Malheureusement, l'addiction psycho-sociale est plus complexe à définir.
Quant à la psychologie sociale contemporaine, instrumentalisée par les entreprises, elle a sombré dans l’utilitarisme des formes d’organisation collective en vue de la production.

Aucune discipline scientifique ne s’intéresse aujourd’hui au phénomène sectaire dans son ensemble. Pourtant, les nouveaux mouvements spirituels et leurs gourous constituent à ce titre un véritable cas d’école.
Et des auteurs du début du XXème siècle s’étaient penchés à leur époque sur des phénomènes similaires. Ce fut le cas de Gustave Le Bon dans "La psychologie des foules" en 1895, de Scipio Sighele dans "Les foules criminelles" en 1901, de Gabriel Tarde dans "L’opinion et la foule" en 1901, de William McDougall "The group mind" en 1920 ou bien encore de Sigmund Freud dans "Psychologie collective et analyse du moi" en 1921. L’ensemble de ces auteurs a été plus récemment repris par Serge Moscovici dans "L’âge des foules" en 1981.
A l’inverse de l’individu, la foule y est présentée assez négativement. Irrationnelle et versatile, l’âme des foules est de nature psychopathologique et soumise à des croyances par nature dogmatiques et utopiques. Elle n’a de cesse de se chercher une idole et des boucs émissaires.
Dans cette théorie scientifique, le meneur lui donne un but (idéal), soude le groupe et organise son action. Toutes les explications de ce phénomène d’influence du leader sur la foule ont recours au mécanisme de la suggestion. Lebon parle du prestige du meneur et de son hypnose de la foule. Gabriel Tarde parle de suggestion de la part du leader et d’imitation par la foule qui l’admire, en quête d’un modèle. Freud l’explique à l’aide des hypothèses psychanalytiques, par le principe d’identification, dans une composante amoureuse la foule déracinée recompose la figure du père. Weber parle de charisme du meneur. Festinger, Pepitone et Newcomb (1952) ont introduit la notion de "désindividuation" pour le comportement des individus dans la foule.
Evidemment, jusqu’à Freud, ces auteurs ont été fortement marqués – souvent de manière négative - par les foules révolutionnaires, depuis la grande révolution française jusqu’aux mouvements ouvriers. En revanche, ils n’ont pas encore connu le grand développement des différentes formes du fascisme. A l’inverse, Moscovici est totalement imprégné de l’exemple du parti communiste de l’URSS dont il fait son exemple phare.
Ces théories n’ont donc pas été construites à partir de l’étude des sectes. Ils les décrivent pourtant de manière admirable. Les grandes religions et certains partis politiques ne manifestent-ils pas en maintes situations des caractéristiques sectaires évidentes ?

Gustave Le Bon – Psychologie des foules
« Nous avons montré que les foules ne raisonnent pas, qu'elles admettent ou rejettent les idées en bloc ; ne supportent ni discussion, ni contradiction, et que les suggestions agissant sur elles envahissent entièrement le champ de leur entendement et tendent aussitôt à se transformer en actes. Nous avons montré que les foules convenablement suggestionnées sont prêtes à se sacrifier pour l'idéal qui leur a été suggéré. Nous avons vu aussi qu'elles ne connaissent que les sentiments violents et extrêmes, que, chez elles, la sympathie devient vite adoration, et qu'à peine née l'antipathie se transforme en haine. (…) Quand on examine de près les convictions des foules, aussi bien aux époques de foi que dans les grands soulèvements politiques, tels que ceux du dernier siècle, on constate, que ces convictions revêtent toujours une forme spéciale, que je ne puis pas mieux déterminer qu'en lui donnant le nom de sentiment religieux. Ce sentiment a des caractéristiques très simples : adoration d'un être supposé supérieur, crainte de la puissance magique qu'on lui suppose, soumission aveugle à ses commandements, impossibilité de discuter ses dogmes, désir de les répandre, tendance à considérer comme ennemis tous ceux qui ne les admettent pas. Qu'un tel sentiment s'applique à un Dieu invisible, à une idole de pierre ou de bois, à un héros ou à une idée politique, du moment qu'il présente les caractéristiques précédentes il reste toujours d'essence religieuse. Le surnaturel et le miraculeux s'y retrouvent au même degré. Inconsciemment les foules revêtent d'une puissance mystérieuse la formule politique ou le chef victorieux qui pour le moment les fanatise. On n'est pas religieux seulement quand on adore une divinité, mais quand on met toutes les ressources de l'esprit, toutes les soumissions de la volonté, toutes les ardeurs du fanatisme au service d'une cause ou d'un être qui devient le but et le guide des pensées et des actions. L'intolérance et le fanatisme constituent l'accompagnement nécessaire d'un sentiment religieux. Ils sont inévitables chez ceux qui croient posséder le secret du bonheur terrestre ou éternel. (…) Les convictions des foules revêtent ces caractères de soumission aveugle, d'intolérance farouche, de besoin de propagande violente qui sont inhérents au sentiment religieux ; et c'est pourquoi on peut dire que toutes leurs croyances ont une forme religieuse. Le héros que la foule acclame est véritablement un dieu pour elle. Napoléon le fut pendant quinze ans, et jamais divinité n'eut de plus parfaits adorateurs. Aucune n'envoya plus facilement les hommes à la mort. Les dieux du paganisme et du christianisme n'exercèrent jamais un empire plus absolu sur les âmes qu'ils avaient conquises. Tous les fondateurs de croyances religieuses ou politiques ne les ont fondées que parce qu'ils ont su imposer aux foules ces sentiments de fanatisme qui font que l'homme trouve son bonheur dans l'adoration et l'obéissance et est prêt à donner sa vie pour son idole. (…) Aujourd'hui la plupart des grands conquérants d'âmes n'ont plus d'autels, mais ils ont des statues ou des images, et le culte qu'on leur rend n'est pas notablement différent de celui qu'on leur rendait jadis. On n'arrive à comprendre un peu la philosophie de l'histoire que quand on est bien pénétré de ce point fondamental de la psychologie des foules. Il faut être dieu pour elles ou ne rien être. (…) Aussi est-ce une bien inutile banalité de répéter qu'il faut une religion aux foules, puisque toutes les croyances politiques, divines et sociales ne s'établissent chez elles qu'à la condition de revêtir toujours la forme religieuse, qui les met à l'abri de la discussion. L'athéisme, s'il était possible de le faire accepter aux foules, aurait toute l'ardeur intolérante d'un sentiment religieux, et, dans ses formes extérieures, deviendrait bientôt un culte.
(…) Dans les foules humaines, le chef réel n’est souvent qu’un meneur (…). Sa volonté est le noyau autour duquel se forment et s’identifient les opinions. Il constitue le premier élément d’organisation des foules hétérogènes et prépare leur organisation en sectes. (…) La foule est un troupeau servile qui ne saurait jamais se passer de maître. (…) La multitude est toujours prête à écouter l’homme doué de volonté forte qui sait s’imposer à elle. Les hommes réunis en foule perdent toute volonté et se tournent d’instinct vers qui en possède une. (…) Créer la foi, qu’il s’agisse de foi religieuse, de foi politique ou sociale, de foi en une œuvre, en un personnage, en une idée, tel est surtout le rôle des grands meneurs, et c’est pourquoi leur influence est toujours considérable. (…) le meneur leur sert de guide. (…) L’autorité des meneurs est très despotique, et n’arrive même à s’imposer qu’à cause de ce despotisme. (…) la tyrannie de ces nouveaux maîtres fait que les foules leur obéissent beaucoup plus docilement qu’elles n’ont obéi à aucun gouvernement. (…) Ce n’est pas le besoin de liberté, mais celui de la servitude qui domine toujours dans l’âme des foules. Elles ont une telle soif d’obéir qu’elles se soumettent d’instinct à qui se déclare leur maître. (…) quand il s’agit de faire pénétrer des idées et des croyances dans l’esprit des foules (…) ils [les meneurs] ont principalement recours à trois procédés très nets : l’affirmation, la répétition, la contagion. (…) L’affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve, est un des plus sûrs moyens de faire pénétrer une idée dans l’esprit des foules. Plus l’affirmation est concise, plus elle est dépourvue de toute apparence de preuves et de démonstration, plus elle a d’autorité. Les livres religieux et les codes de tous les âges ont toujours procédé par simple affirmation. (…) L’affirmation n’a cependant d’influence réelle qu’à la condition d’être constamment répétée, et, le plus possible, dans les mêmes termes. (…) La chose affirmée arrive, par la répétition, à s’établir dans les esprits au point qu’ils finissent par l’accepter comme une vérité démontrée. (…) la chose répétée finit par s’incruster dans ces régions profondes de l’inconscient où s’élaborent les motifs de nos actions. (…) Lorsqu’une affirmation a été suffisamment répétée, et qu’il y a unanimité dans la répétition, (…) il se forme ce qu’on appelle un courant d’opinion et le puissant mécanisme de la contagion intervient. (…) C’est surtout par le mécanisme de la contagion, jamais par celui du raisonnement, que se propagent les opinions et les croyances des foules.
(…) Ce qui contribue surtout à donner aux idées propagées par l’affirmation, la répétition et la contagion, une puissance très grande, c’est qu’elles finissent par acquérir le pouvoir mystérieux nommé prestige. (…) Le prestige est en réalité une sorte de domination qu’exerce sur notre esprit un individu, une œuvre, ou une idée. Cette domination paralyse toutes nos facultés critiques et remplit notre âme d’étonnement et de respect. (…) le prestige est le plus puissant ressort de toute domination. (…) J’arrive maintenant au prestige personnel. (…) C’est une faculté indépendante de tout titre, de toute autorité, que possèdent un petit nombre de personnes, et qui leur permet d’exercer une fascination véritablement magnétique sur ceux qui les entourent (…). »

Sigmund Freud – Psychologie collective et analyse du moi
« (…) Le phénomène le plus remarquable et, en même temps, le plus important d’une formation collective consiste dans l’exaltation et l’intensification de l’émotivité chez les individus dont elle se compose. (…) Cette absorption de l’individu par la foule (…), nous autres psychanalystes [la] connaissons déjà sous le nom de contagion affective. (…) Mais en partageant l’excitation de ceux dont il [l’individu] a subi l’action, il augmente leur propre excitation, et c’est ainsi que la charge affective des individus s’intensifie par induction réciproque. (…) la formation de groupements massifs [fait penser à] une expression biologique, dans l’ordre social, de la structure pluricellulaire des organismes supérieurs. (…) l’individu faisant partie d’une foule subit, sous son influence, des changements profonds portant sur son activité psychique. Son affectivité subit une exagération extraordinaire, tandis que son activité intellectuelle se trouve considérablement réduite et rétrécie, l’exagération de l’une et la réduction de l’autre s’effectuant dans le sens de l’assimilation de chaque individu de la foule à tous les autres. Et ce dernier résultat ne peut être obtenu que par la suppression de tous les modes d’inhibition propres à chacun et par le renoncement à ce que présentent d’individuel et de particulier les tendances de chacun. Nous savons que ces effets (…) peuvent être neutralisés, en partie du moins, par l’organisation des foules, mais en affirmant cette possibilité, on laisse intact le fait fondamental, à savoir l’exagération de l’affectivité et l’abaissement du niveau intellectuel chez les individus formant partie de la foule primitive. Il s’agit donc de trouver l’explication psychologique de ces modifications psychiques que la foule imprime à l’individu. (…) Nous allons donc essayer d’admettre que des relations amoureuses (ou, pour employer une expression plus neutre, des attachements affectifs), forment également le fond de l’âme collective. (…) Dans l’Eglise (…) et dans l’Armée (…) règne la même illusion, celle de la présence, visible ou invisible, d’un chef (le Christ dans l’Eglise catholique, le commandant en chef dans l’Armée) qui aime d’un amour égal tous les membres de la collectivité. (…) il leur remplace le père. (…) Notons bien que dans ces deux foules conventionnelles (…) chaque individu est rattaché par des liens libidinaux au chef (le Christ, le commandant en chef) d’une part, à tous les autres individus composant la foule, d’autre part. (…) l’essence d’une foule consiste dans les liens libidinaux qui la traversent de part en part, comme un réseau serré (…). D’après le témoignage de la psychanalyse, toute relation affective intime (…) laisse un dépôt de sentiments hostiles ou, tout au moins, inamicaux dont on ne peut se débarrasser que par le refoulement. (…) premièrement, l’identification constitue la forme la plus primitive de l’attachement affectif à un objet ; deuxièmement, à la suite d’une transformation régressive, elle prend la place d’un attachement libidinal à un objet, et cela par une sorte d’introduction de l’objet dans le moi ; troisièmement, l’identification peut avoir lieu chaque fois qu’une personne se découvre un trait qui lui est commun avec une autre personne (…). De l’état amoureux à l’hypnose la distance n’est pas grande. (…) On fait preuve à l’égard de l’hypnotiseur de la même humilité dans la soumission, du même abandon, de la même absence de critique qu’à l’égard de la personne aimée. On constate le même renoncement à toute l’initiative personnelle ; nul doute que l’hypnotiseur n’ait pris la place de l’idéal du moi. (…) Les considérations qui précèdent nous permettent cependant d’établir la formule de la constitution libidinale d’une foule (…), c’est-à-dire d’une foule ayant un meneur et n’ayant pas encore acquis secondairement, par suite d’une organisation trop parfaite, les propriétés d’un individu. Ainsi envisagée, une foule primaire se présente comme une réunion d’individus ayant tous remplacé leur idéal du moi par le même objet, ce qui a eu pour conséquence l’identification de leur propre moi. (…) La foule nous apparaît comme une résurrection de la horde primitive. (…) aujourd’hui encore, les individus composant une foule ont besoin de savoir que le chef les aime d’un amour juste et égal, mais le chef lui-même n’a besoin d’aimer personne, il est doué d’une nature de maître, son narcissisme est absolu, mais il est plein d’assurance et indépendant. (…) mais ce n’est là qu’une transformation idéaliste des conditions existant dans la horde primitive, dans laquelle tous les fils se savent également persécutés par le père qui leur inspire à tous la même crainte. (…) C’est ainsi que ce qu’il y a d’inquiétant, de troublant, de coercitif dans le caractère des formations collectives, tel qu’il se révèle dans leurs manifestations suggestives, peut être expliqué avec raison par l’affinité qui existe entre la foule et la horde primitive, celle-là ayant sa source dans celle-ci. Le meneur de la foule incarne toujours le père primitif tant redouté, la foule veut toujours être dominée par une puissance illimitée, elle est au plus haut degré avide d’autorité ou (…) elle a soif de soumission. Le père primitif est l’idéal de la foule qui domine l’individu, après avoir pris la place de l’idéal du moi. L’hypnose peut à bon droit être désignée comme une foule à deux ; pour pouvoir s’appliquer à la suggestion, cette définition a besoin d’être complétée : dans cette foule à deux, il faut que le sujet qui subit la suggestion soit animé d’une conviction qui repose (…) sur une attache érotique. (…) l’explication de la structure libidinale d’une foule se réduit à la distinction entre le moi et l’idéal du moi et, consécutivement, à deux variétés d’attaches, l’une représentée par l’identification, l’autre par la substitution d’un objet libidinal extérieur à l’idéal du moi. (…) »

Serge Moscovici – L’âge des foules - Extraits :
« (…) la psychologie des masses nous a appris que les meneurs ne peuvent accomplir leur mission sans recruter des individus momentanément détachés de leur groupe habituel. Ceux-ci forment l'embryon d'une foule. Ils subissent l'ascendant d'un chef qui transforme leur rencontre en une organisation stable. L'Église et l'armée, ce fut l'audace d'un Tarde et surtout d'un Freud de le reconnaître, sont le modèle de toute foule de cette nature. Le parti est la traduction de l'une et de l'autre dans une société comme la nôtre qui ne régit plus la tradition familiale, locale et aristocratique. En un mot, les partis sont à la fois les Églises et les armées de l'âge des foules. (…)
Le caractère commun à toutes ces foules artificielles, la preuve de leur bonne santé, demeure toujours et partout un système de croyances. Il les cimente, les tient ensemble et leur permet de mobiliser les hommes jusqu'à leur demander le sacrifice de leur vie. Un meneur ne saurait fonder et diriger un tel parti, nécessaire à sa tâche, s'il ne possède pas un tel système. Car les masses n'agissent que mues par une croyance - et les croyances n'existent que par les masses. Le prophète est devenu l'archétype du leader contemporain précisément pour cette raison : il faut qu'il suscite une foi robuste autour de lui. Or l'exemple et la forme la plus achevée d'un système de croyances est la religion. (…) Elles comportent un dogme, des textes sacrés auxquels on obéit, des héros ayant qualité de saints. De plus, une telle religion profane répond strictement à certaines nécessités psychiques - le besoin de certitude, la régression des individus dans la masse, etc. - et à rien d'autre. (…) Examinons de plus près une telle religion, en laissant de côté ses manifestations spectaculaires, que nous avons déjà décrites. Quelles en sont les fonctions ? La toute première est de composer une vision totale du monde, qui pallie le caractère fragmentaire et divisé de chaque science, de chaque technique et de l'a connaissance en général. Il existe, dans le tréfonds de la nature humaine, un besoin élémentaire d'harmoniser, au sein d'un ensemble parfait, tout ce qui, dans notre expérience, nous semble incompatible et inexplicable. Lorsque nous ne possédons plus de principes simples, de modèle unique pour expliquer ce qui se passe en nous et autour de nous, nous nous sentons menacés. Pire : réduits à l'impuissance, en face de la diversité des forces économiques, des problèmes psychiques et de la masse des événements incontrôlés. Ce défaut de cohérence nous empêche de participer à une action sociale définissable. Il n'y a ni ordre ni sécurité possible pour les individus dans une société où le nombre de questions excède le nombre de réponses. (…) Certes le savant ou le technicien peuvent s'accommoder de ce morcellement, accepter l'oscillation perpétuelle entre des solutions contradictoires et l'incertitude des vérités éphémères. Mais l'homme, dans sa vie ordinaire, le rejette. Il est avide de certitudes solides, de vérités immuables. (…) Par essence, les religions profanes lui fournissent une telle vision totale. Elles offrent une conception du monde où chaque problème rencontre sa solution. (…) Toutes les religions sacrées proposent une conception du monde physique. Elles expliquent l'origine de l'univers et prévoient son avenir. Par contre les religions profanes se constituent autour d'une vision du monde social. (…) Seules les religions (et leurs partis missionnaires) peuvent encore susciter de tels attachements. Elles amènent les individus à accepter dans leur for intérieur ce que la collectivité exige d'eux. (…) Les religions reconnaissent l'aspiration au bonheur, le besoin de protection que les hommes éprouvent depuis l'enfance. Après avoir peint sous les couleurs les plus sombres les forces qui les menacent, elles proposent une solution. (…) Ce sont donc des religions de l'espoir. Elles garantissent aux hommes qu'ils sortiront victorieux de la tourmente et définitivement, à condition de s'identifier avec l'idéal qui les dépasse et de respecter les prescriptions qu'elles édictent.
(…) dissimuler un mystère. Chaque religion a le sien. En son nom elle impose des règles et proclame des vérités sur lesquelles elle ne s'explique pas. Au contraire, elle jette sur leurs raisons des ombres épaisses et les dissimule de façon que nul ne les aperçoive. Tout est mis en oeuvre pour éviter un contact fortuit. Tout concourt à empêcher la révélation du secret ainsi dérobé à la vue du public des fidèles. Ce secret se présente tantôt comme une chose bénéfique, tantôt comme une chose maléfique. (…) On peut affirmer que la plupart des foules artificielles - armées, Églises, partis - sont en rapport avec un tel mystère. Elles possèdent un ensemble de cérémonies, d'emblèmes, de mots de passe (songez aux francs-maçons !) qui le protègent et censurent toute tentative de le découvrir. Il sert à justifier la hiérarchie. L'individu qui en gravit les échelons s'approche de ce point sacré, les autres demeurent à distance. (…)
Les religions sont l'oeuvre des «fils», des successeurs du père fondateur d'un peuple ou d'une société déterminée. Elles les disculpent et les légitiment à la fois, en dissimulant leur crime au point que personne ne voit plus en eux ses auteurs. (…) »

Le phénomène sectaire, la Shri Ram Chandra Mission de Chari peuvent être examinés à l’aide des éléments que nous fournit cette discipline à la frontière entre psychologie et sociologie :
Adoration d'un être supposé supérieur, crainte de la puissance magique qu'on lui suppose, soumission aveugle à ses commandements, impossibilité de discuter ses dogmes, désir de les répandre, tendance à considérer comme ennemis tous ceux qui ne les admettent pas, besoin de certitude, régression des individus dans la masse, soumission de la volonté, ardeur du fanatisme au service d'une cause ou d'un être qui devient le but et le guide des pensées et des actions… inévitables chez ceux qui croient posséder le secret du bonheur terrestre ou éternel.
Tous les fondateurs de croyances religieuses ont su imposer aux foules ces sentiments de fanatisme qui font que l'homme trouve son bonheur dans l'adoration et l'obéissance et est prêt à donner sa vie pour son idole.
Les meneurs ne peuvent accomplir leur mission sans recruter des individus momentanément détachés de leur groupe habituel. Le prophète est devenu l'archétype du leader contemporain, il doit susciter une foi robuste autour de lui.

Techniques manipulatoires : L’exemple des Whispers, Bible du Sahaj Marg

Ces dernières années, Whispers s’est imposé progressivement comme le principal véhicule de la philosophie du Sahaj Marg, de son projet de vie et d’avenir. Avec "a whisper a day", il en paraît quotidiennement quand les discours de Chari se font plus rares. Et Babuji détrône Chari, ce dernier décrivant lui-même Whispers comme la Nouvelle Bible du Sahaj Marg.
La lecture quotidienne de ces messages d’un Babuji d’outre-tombe, relayés par une médium anonyme, dresse un panorama du monde d’aujourd’hui et du futur qu’il appelle de ses vœux, véritablement impressionnant. Tout comme il apparaît aussi en filigrane la manière d’endoctriner le lecteur, tout aussi impressionnante sinon plus.
Babuji dépeint à l’envie la noirceur de notre monde, sans retenue et presque avec exagération, comme une délectation. Il exacerbe les peurs pour mieux imposer sa voie vers le bonheur. Un bonheur à peine dévoilé, et aux atours mystérieux. Une vérité invérifiable inlassablement répétée, pour mieux imprégner les esprits. Une solution reposant sur l’adoration et nécessitant une obéissance totale. Offerte à tous, mais dont seule une élite saura s’emparer…

C’est une rhétorique manipulatoire parfaitement mise au point, qui reprend tous les mécanismes observés et décrits par les tenants de la psychologie des foules, de Le Bon à Moscovici en passant par Freud il y a plus d’un siècle déjà.
Gustave Le Bon disait entre autres : « [les meneurs] ont principalement recours à trois procédés très nets : l’affirmation, la répétition, la contagion. (…) L’affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve, est un des plus sûrs moyens de faire pénétrer une idée dans l’esprit des foules. Plus l’affirmation est concise, plus elle est dépourvue de toute apparence de preuves et de démonstration, plus elle a d’autorité. Les livres religieux et les codes de tous les âges ont toujours procédé par simple affirmation. (…) L’affirmation n’a cependant d’influence réelle qu’à la condition d’être constamment répétée, et, le plus possible, dans les mêmes termes. (…) »
Serge Moscovici ajoutait : « (…) composer une vision totale du monde, qui pallie le caractère fragmentaire et divisé de chaque science, de chaque technique et de l'a connaissance en général. Il existe, dans le tréfonds de la nature humaine, un besoin élémentaire d'harmoniser, au sein d'un ensemble parfait, tout ce qui, dans notre expérience, nous semble incompatible et inexplicable. »
Ou bien encore : « (…) Les religions reconnaissent l'aspiration au bonheur, le besoin de protection que les hommes éprouvent depuis l'enfance. Après avoir peint sous les couleurs les plus sombres les forces qui les menacent, elles proposent une solution. (…) Ce sont donc des religions de l'espoir. Elles garantissent aux hommes qu'ils sortiront victorieux de la tourmente et définitivement, à condition de s'identifier avec l'idéal qui les dépasse et de respecter les prescriptions qu'elles édictent. »

Pour mieux vous rendre compte de cette habile manipulation au quotidien, rien ne vaut la lecture au fil de l’eau des messages de Whispers, ce que je vous invite vivement à faire.
En voici un exemple avec quelques extraits tous choisis très subjectivement au seul mois de juillet 2004.

Babuji a dit…
« Cette civilisation est destructrice, rien ne semble pouvoir l’arrêter en ce monde ; les lois divines, et elles seules, pourront y remédier. [3/07] (…) L’avenir de la terre s’inscrit dans un vaste dessein concernant l’univers tout entier. (…) Cette civilisation va trop loin dans ses prérogatives et elle met en danger tout un équilibre, sans se soucier des conséquences. A ce jour, le mouvement est devenu irréversible, il appartient à chacun d’en prendre conscience et d’agir en tenant compte de la situation. Puisse l’humanité réagir à temps, pour limiter le phénomène destructeur ! [15/07] (…) La force d’une voie comme la notre grandit proportionnellement à son égrégore, augmentant elle-même en puissance. (…) Ce mouvement ne sera pas éphémère, tous peuvent être rassurés : cette "multinationale" ne risque pas de péricliter. [22/07] (…) Son expansion est programmée de la sorte ; elle commence un long cycle qui n’est pas près de finir. Il est inscrit dans l’avènement d’une ère nouvelle où l’humanité devrait enfin trouver sa voie : celle de l’esprit prioritairement, parvenant à effacer la noirceur du monde. Un tel changement se prépare longtemps à l’avance. Il est prévu dans la perspective de bouleversements d’envergure allant bien au-delà de cette planète, dont nous ne pouvons pour le moment dévoiler la stratégie. (…) L’humanité se trouvant à un point charnière de son histoire, une opportunité est donnée aux chercheurs de s’élever dans la voie de la réalisation. [23/07] (…) Nous devons préparer nos aspirants aux grands changements devant se produire sur la terre. (…) Nous devons les bousculer même si l’inconnu les rebute, notamment avec ces messages venant d’un autre monde, ce principe n’étant pas forcément admis par tous. [27/07] (…) Inexorablement, le temps fait son œuvre et trace le sillon du futur, où le rôle de la Mission s’affermira dans le monde, où de grandes figures représenteront le Maître dans de nombreux pays. [29/07] (…) Ainsi le grand sage peut s’adresser à son disciple et lui laisser entrevoir où se cache le trésor. "Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus", disent les Ecritures. Le chemin est aride, seules les âmes fortes et déterminées y parviennent. Le Sahaj Marg est une voie, un moyen offert aux humains capables de s’y intéresser et de saisir l’opportunité qui s’offre à eux, d’avancer sur ce chemin étroit et plein d’embûches. Beaucoup réussiront. N’a-t-elle pas été donnée au monde afin de répondre à un appel profond, caractéristique des temps qui se préparent, en vue d’une transformation radicale ? Nous serons plus que jamais au cœur de ce vaste mouvement porteur d’espérance et d’une libération de cette humanité en proie aux affres du mal. [30/07] (…) »

Les gourous indiens


Les nouveaux mouvements spirituels indiensDans notre monde globalisé, l’Inde fabrique des gourous à la chaîne comme la Chine est aujourd’hui la manufacture de tous nos biens matériels. Une Inde spirituelle et une Chine matérielle, deux images d’une Asie exportatrice vers un Occident décadent.
Ravi Shankar et son Art de vivre, Amma et sa Maison Amrita, … Les gourous indiens et leurs mouvements spirituels connaissent une expansion spectaculaire, un gigantisme qui transforme certains d’entre eux en de vastes multinationales spirituelles et financières.
Issus du néo-hindouisme du 19ème siècle, ils s’appuient d’abord sur une middle class indienne en pleine ascension pour séduire ensuite des Occidentaux stressés et fragilisés.
Non dogmatiques, ils sont universalistes parce qu’ils semblent réconcilier l’Orient et l’Occident, la tradition et la modernité, le monde et l’individu, le matériel et le spirituel, la tête et le cœur. Mais en pratique, ils les opposent.
Leur credo commun est que la réponse aux problèmes du monde est individuelle et intérieure : il s’agit de fusionner avec l’énergie divine qui est partout et en tout, grâce à la méditation ; le gourou se chargeant de guider le chercheur spirituel sur cette voie, à l’aide d’une technique brevetée dont il est seul dépositaire.
Ils se présentent donc comme la seule véritable alternative au matérialisme à outrance et à la pensée rationaliste, aux fondamentalismes religieux comme aux affres du monde moderne.
Mais au-delà de leur croissance exponentielle et de leur puissance financière, ces nouveaux mouvements spirituels créent de la dépendance psychologique plutôt que du bien-être individuel, et ils sont finalement source de stabilité plutôt que de changement social.

A lire, des articles sur les gourous indiens :

En dehors de la pensée unique, quelques liens non conformistes sur ces gourous :